Voici lextrait dun texte de Pierre labrot sur Alain Gibertie:
« Lobstacle comme lieu de passage » est une proposition de poète, la geste dAlain, sa foudre méticuleuse aurait pu nen laisser que cendres obstruantes. Il sy trouve aussi des points précieux.
Jai connu Alain à Sarlat en Périgord en un premier épisode où il dressait des mouches à vivre sur une toile blanche, en une figure qui sévadait un peu des procédés usuels: ce jour là une cote de porc servait de canevas en attracteur étrange.
Cet épisode fut suivi dune ligne médiane sur une route communale proche de Montignac sur Vézère, médiane défiant le juste milieu.
Entre épisodes, il fallait manger. Je découvris un jour que les poissons de rivière assuraient un menu souvent critique, sans issue les jours sans, puisque des essais de collets navaient ramené aucun lapin des bois de chênes verts et taillis de genêts.
Cétait un retour à un état de douce sauvagerie, dont il est possible de sourire, mais qui assurait à un Robinson de quoi ne pas aller pointer pour assurer un quotidien.
Cest ainsi que je pris la mesure du citoyen Alain Gibertie, et acceptais sans trop de réticences de partager la lumineuse proposition de créer Lascaux Trois, soit « La Grotte du Futur » ainsi dite.
La Grotte a été un travail de lan 1983, à fabriquer un Lascaux contemporain, à chercher aux flancs des falaises, en cette année là enneigées, ou nous, accrochés aux arbres froids finirent par décréter une caverne lieu dune histoire de 30 000 ans à venir.
Cétait présomptueux, mais pourquoi se restreindre, lhomme et la femme de Cro-Magnon y étaient parvenu.
Nous étions redevenu-e-s des sauvages par choix, habitant-e-s dune société qui nous lassait par le déploiement de ses intermédiaires, fabriquant des écrans entre notre besoin de raconter nos histoires et un public trop occupé pour être distrait par nos jeux, occupé par les siens qui le rendent souvent dépendant.
La Grotte était la Galerie idéale, le local sublime, son propre carton dinvitation, en rocher millénaire.
Se joignirent a nous filles et garçons, aussi paysan-e-s du voisinage et quelques sérieux-ses briscard-e-s de lart .
Parmi elles et eux Robert Filliou, serein, qui me parla longuement des crues du Vidourle de son enfance semblant oublier le mal qui allait bientôt lemporter, et dont je découvrais la puissance et loriginalité du travail, bien loin des clichés qui parfois suppléent aux analyses.
Nous demandions à la nature de nous accueillir et à linitiale histoire de lart de nous servir de pont.
Nous nous évadions des règles et des lois trop souvent cadrantes dans le consensus dun art- fatigué- pour initié-e-s doù le risque a souvent disparu.
En même temps cet épisode alliait invention dindividu-e-s et syncrétisme sur un même bateau.
La réussite de cette entreprise fut telle quelle déchaîna notre euphorie qui dut un jour se confronter à la nécessité davoir pour un artiste une vision individuelle.
Il se peut que un jour, vaincu par ce quil pensait être un manque de reconnaissance de son uvre, Alain en vint à mettre sa propre mort en scène.
Le film de Patrick Rebeaud nous amène à sentir monter une crise dont on peut lire quelle était pénible, sans aller jusqu'à pouvoir en imaginer la fin.
Cette fin intolérable de faire de sa mort une uvre, mais aussi preuve déterminante dune volonté dexister hors tous les obstacles de la route, délivrant un message que lon pouvait juger en jugeant trop vite quil voisinait labsurde.
Sacrifice pour affirmer la place du dérisoire dans un monde trop mécanique.
Cette leçon nous fit mesurer quelle distance existe entre un petit homme et femme que nous sommes et un horizon qui sacharne à nous défier en fuyant sans fin.
Cette leçon situe la barre des exigences à un bon niveau, et nous rappelle que oublier la bonne mesure est ce qui nous guette tout le temps.
Le futur est donc un travail et pas seulement une forme grammaticale. Daucun-e le décrivent dans une lhypothèse réitérée dun post-moderne qui a fini de vivre.
Robert Filliou, dans les briques de la Grotte a inscrit à la craie :
« Oh savoir mourir pour vivre »
Cest aussi je pense la parole délivrée par Alain.
Aujourdhui Alain voyage du local au terroir universel.
Il fut de ceux et celles qui refusent les consensus trop calmes et calmants, sachant tel un Prigogine, quils sont souvent juste un moment qui dort entre deux phases.
Gibertie est devenu un générateur du trouble nécessaire, qui nous est nécessaire.
Pierre Labrot le 21 Juin 2005.
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