PATRICK REBEAUD - réalisateur


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ALAIN GIBERTIE


Voici l’extrait d’un texte de Pierre labrot sur Alain Gibertie:

« L’obstacle comme lieu de passage » est une proposition de poète, la geste d’Alain, sa foudre méticuleuse aurait pu n’en laisser que cendres  obstruantes. Il s’y trouve aussi des points précieux.
 
J’ai connu Alain à Sarlat en Périgord  en un premier épisode où il dressait des mouches à vivre sur une toile blanche, en une figure qui s’évadait un peu des procédés usuels: ce jour là  une cote de porc servait de canevas en attracteur étrange.
 
Cet épisode fut suivi d’une ligne médiane sur une  route communale  proche de Montignac sur Vézère, médiane défiant le juste milieu.
 
Entre épisodes, il fallait manger. Je découvris un jour que les poissons de rivière assuraient un menu souvent critique, sans issue  les jours sans, puisque des essais de collets n’avaient ramené aucun lapin des bois de chênes verts et taillis de  genêts.
 
C’était un retour à un état de douce sauvagerie, dont il est possible de sourire, mais qui assurait à un Robinson de quoi ne pas aller pointer pour assurer un quotidien.
 
C’est ainsi que je pris  la mesure du citoyen Alain Gibertie, et acceptais sans trop de réticences de partager la lumineuse proposition de créer Lascaux Trois, soit  « La Grotte du Futur » ainsi dite.
 
La Grotte a été un travail de l’an 1983, à fabriquer un Lascaux contemporain, à chercher aux flancs des falaises, en cette année là enneigées, ou nous, accrochés aux arbres froids finirent par décréter une caverne lieu d’une histoire de 30 000 ans à venir.
C’était présomptueux, mais pourquoi se restreindre, l’homme et la femme de Cro-Magnon y étaient parvenu.
 
Nous étions redevenu-e-s des sauvages par choix, habitant-e-s d’une société  qui nous lassait  par le déploiement de ses intermédiaires, fabriquant des écrans entre notre besoin de raconter nos histoires et un public trop occupé pour être distrait par nos jeux, occupé par les siens qui le rendent souvent  dépendant.
La Grotte était la Galerie idéale, le local sublime, son propre carton d’invitation, en rocher millénaire.
 
Se joignirent a nous filles et garçons, aussi paysan-e-s du voisinage et quelques sérieux-ses briscard-e-s de l’art .
 
Parmi elles et eux Robert Filliou, serein, qui me parla longuement des crues du Vidourle de son enfance semblant oublier  le  mal  qui allait bientôt l’emporter, et dont je découvrais la puissance et l’originalité du travail, bien loin des clichés qui parfois suppléent aux analyses.  
 
Nous demandions à la nature de nous accueillir et à l’initiale histoire de l’art de nous servir de pont.
 
Nous nous évadions des règles et des lois trop souvent cadrantes dans le consensus d’un art- fatigué- pour initié-e-s  d’où le risque a souvent disparu.
 
En même temps cet épisode alliait invention d’individu-e-s et syncrétisme sur un même bateau.
 
La réussite de cette entreprise fut telle qu’elle déchaîna notre euphorie qui dut un jour se confronter à la nécessité d’avoir pour un artiste une vision individuelle.
 
Il se peut que un jour, vaincu par ce qu’il pensait être un manque de reconnaissance de son œuvre, Alain en vint à mettre sa propre mort en scène.

Le film de Patrick Rebeaud nous amène à sentir monter une crise  dont on peut lire qu’elle était pénible, sans aller jusqu'à pouvoir en  imaginer la fin.
 
Cette fin intolérable de faire de sa mort une œuvre, mais aussi preuve déterminante d’une volonté d’exister hors tous les obstacles de la route, délivrant  un message que l’on pouvait juger en jugeant trop vite qu’il  voisinait l’absurde.
 
Sacrifice pour affirmer la place du dérisoire dans un monde trop mécanique.
 
Cette leçon nous fit mesurer quelle distance existe entre un petit homme et femme  que nous sommes et un horizon qui s’acharne à nous défier en fuyant sans fin.
 
Cette leçon situe la barre des exigences à un bon niveau, et nous rappelle que oublier la bonne mesure est ce qui nous guette tout le temps.
 
Le futur est donc un travail et pas seulement une forme grammaticale. D’aucun-e  le décrivent  dans une l’hypothèse réitérée d’un post-moderne qui a fini de vivre.
 
Robert Filliou, dans les briques de la Grotte a inscrit à la craie :
« Oh savoir mourir pour vivre »
 
C’est aussi je pense la parole délivrée par Alain.
  
Aujourd’hui Alain voyage du local au terroir universel.
 
Il fut de ceux et celles qui refusent les consensus trop calmes et calmants, sachant tel un Prigogine, qu’ils sont souvent juste un moment qui dort entre deux phases.
 
Gibertie  est devenu  un générateur du trouble nécessaire, qui nous est nécessaire.
 
 
Pierre Labrot le 21 Juin 2005.