29 octobre 2009
Les sociologues commencent
à étudier les photos publiées sur Flick-R avec attention.
Ils peuvent en dégager des tendances de l’époque. Pour
l’instant, c’est le top 10 des monuments les plus photographiés
qui a retenu leur attention. Mais on peut imaginer qu’à
l’avenir, avec une telle quantité de données
photographiques, de multiples questions pourront être
étudiées. Moi, ce qui me frappe dans le flux des photos qui
arrivent en continu sur ce site, c’est le fossé qui existe entre
ces clichés (de vie privée) et les photos que l’on trouve
dans la presse. Pas un fossé technique puisque les photos
d‘amateurs sont désormais rarement ratées. C’est
l’esprit qui est différent : sur Flick-R, les images montrent
essentiellement du bonheur. C’est le sourire, le moment de
convivialité, la fête. Un album de famille ne conserve que les
bons moments de la vie, même si c’est l’album de famille du
monde entier. La planète doit se réjouir du soufflage de bougies
du petit dernier, de la beauté de Daphnée au bord de l’eau,
de l’équipe de Rugby prête avant le match, de Sylvia qui
brandit sa guitare au-dessus de sa tête, debout devant un mur de tags,
d’Alicia enceinte souriant gentiment à son nombril, de Tony au bal
masqué, et Terry déguisé avec son beau chapeau vert,
d’une coccinelle au soleil, de deux chocos BN japonais dans une assiette,
du Ben Franklin Bridge, d’Emmily qui adore montrer ses jambes et son
grand sourire, de quatre étudiantes en biologies tirant la langue,
d’Eva qui essaye sa robe de mariage, de Cesare costumé en
Arlequin,... La planète se mire dans le palais des glaces du bonheur. Et
pourquoi pas après tout ? On sait bien qu’il ne s’agit
pas du monde tel qu’il est, mais tel que l’on choisit qu’il
soit. La photographie de presse a d’autres partis pris, d’autres
visions de la vie, mais ce sont aussi des choix. Une photo n’a jamais
été objective, un milliard de photos n’ont pas plus de
chances de le devenir. Et ce n’est pas grave. C’est même
plutôt intéressant.
Les images de Facebook,
elles, devraient aussi passionner les sociologues, mais avec eux les
psychologues et les philosophes. Les listes d’amis me paraissent riches
en possibilités. Bien sûr, il y a cette idée des
réseaux se renvoyant les uns vers les autres. On aimerait en voir une
représentation graphique, une arborescence monumentale.
Il y a aussi les photos
représentant chacune des personnes. Que veut montrer de lui-même
chaque internaute ? Il est amusant de suivre le réseau de toute une
famille, en passant d’une liste à l’autre. On a parfois des
sujets d’étonnement. Certains terriens ont beau avoir cet
accès à un milliard d’autres êtres humains, cela ne
les empêche pas de conserver un univers extrêmement restreint.
Comme ces gens, la famille XXXX dont les parents, enfants, frères...
répartis sur différents points du globe, n’imaginent pas de
se faire photographier sans une chope ou une canette de bière à
la main. Dans toutes les versions de photos de ce groupe familial, depuis
plusieurs années, tous brandissent la cervoise fièrement en
direction du photographe. Cette boisson
a manifestement modelé la silhouette des plus anciens. On imagine
l’allure des plus jeunes dans quelques années. Apparemment, il ne
s’agit pas d’une décision ou d’un mot d’ordre.
C’est inconscient. Simplement, pour eux, l’image du bonheur
c’est une canette de bière*.
Je crois que les
archéologues du futur ne seront plus courbés vers le sol, munis
de truelles. Ce seront des informaticiens qui essayeront de faire avouer aux
serveurs informatiques et aux disques durs oubliés ce que vivaient et ce
que tentaient de vivre les internautes du début du 21ème
siècle.
* PS: Pour que mes propos ne
soient pas mal interprétés, je voudrais préciser que la
famille en question n’est pas pauvre et sans moyens. Elle a accès
à l’éducation, à la culture et aux loisirs. Les
parents vivent dans un pays riche.
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