PATRICK REBEAUD - réalisateur


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CINÉMA D’AUTEUR

L’intime idée

La plupart des gens se retournent de temps à autres vers leur passé, jetant un rapide coup d’oeil vers cette kyrielle de jours et d’années qu’est leur vie. Et puis ils se reprennent bien vite, et portent de nouveau leur élan vers ce territoire à conquérir qu’est l’avenir. Ils craignent sans doute de se voir ralentis par ce passé qui se traîne derrière eux, tenu en laisse comme un animal récalcitrant. Ce passé, il ne faut pas trop le regarder, il risquerait de faire l’intéressant.

Mais le cinéaste commence là où les autres s’arrêtent. Car pour lui, les souvenirs ne constituent en aucun cas un poids mort. Le cinéaste ressent sa vie passée, non comme un boulet qui enflerait pendant la marche claudicante de l’évadé, mais comme un vivier d’émotions qui s’activent encore aujourd’hui EN LUI. Or, une telle cohabitation avec mille instants de vie incandescents ne peut pas être passée sous silence. Comment confiner une telle énergie ? Et surtout : pourquoi refuser d’en laisser fuiter les forces les plus tempétueuses ? Ainsi contraint par les lois de la thermodynamique, le cinéaste s’exprime.

Le cinéaste a de la chance : il a une technique. Cela lui permettra d’exfiltrer une partie de ses chagrins, joies et regrets, en provoquant alentours un minimum de dégâts. Mieux encore : s’il met bon ordre à ce qui ne reste pour l’instant qu’un entrelacs de vibrations contradictoires, il pourra peut-être les partager avec d’autres. Il existe un peuple qui se tient en attente, espérant voir surgir ce faisceau d’émotions rendu lumineux par l’art : les spectateurs.

Mais ces souvenirs tellement imposants, à quoi ressemblent-ils ? A tout et à rien. Surtout à rien. Ou plutôt : à presque rien. Une parole, un regard, une situation. Ils n’en sont que plus forts. La puissance, c’est lorsque quelques signes de rien du tout comme E=MC 2 déclenchent le séisme atomique. Ainsi, un mot heureux ou blessant peut hanter, motiver ou bloquer toute une vie.

Une parole ? Un regard ? Une situation ? Ça tombe bien, car le cinéma se nourrit de manière privilégiée de ces ingrédients. Les grandes idées, elles, sont incapables de courber l’échine pour entrer dans le cadre d’un film. En revanche, les petites choses de la vie s’y trouvent naturellement à leur aise. Le cinéaste va donc tenter de les pousser dans la lumière.

Oui, mais jusqu’à quel point peut-il le faire sans risquer la surexposition ?

Peut-être –justement- en ne répondant pas à cette question. Du moins officiellement. Car la passer sous silence, c’est déjà se protéger. Si le public ignore qu’il y a eu cryptage, il n’ira pas chercher la clé. Ou plutôt : si on ne lui dit pas qu’il y a du vrai dans l’histoire qu’on lui raconte, il fera semblant de ne pas s’en apercevoir. Car le spectateur n’est pas dupe : il sait parfaitement qu’une émotion –même de cinéma- ne peut naître que du réel. Pas de feu sans objet à consumer.

En réalité, si le spectateur accepte de détourner les yeux et de signer le contrat de la fiction, c’est peut-être qu’il en est bénéficiaire ; se disant secrètement que moins ce personnage qu’il voit vivre sur l’écran sera déclaré habité par le cinéaste, et plus la place semblera libre pour lui-même. Le «Je» de l’auteur se dissimule au profit du «Je» du spectateur.

Remarquons qu’à la sortie d’un film, on communique systématiquement avec cette question posée à l’acteur : Dans quelle proportion se reconnaît-il dans le personnage qu’il interprète ? Beaucoup plus rare est la question : A quel point incarne-t-il le cinéaste lui-même ? Ce dernier, grâce au prétexte de l’imaginaire, parvient à se réfugier en zone franche. Dans sa cavale, il aura parfois poussé le raffinement jusqu’à répartir les aspects de lui-même entre plusieurs protagonistes de son histoire.

Et tandis que certains personnages incarnent –dans diverses proportions- l’auteur en personne, d’autres représentent l’AUTRE. Le plus fréquent pour ce deuxième pôle, c’est bien sûr l’être aimé. Le cinéaste, parfois... ou souvent... poussera le bouchon jusqu’à le faire interpréter par la personne qui tient réellement ce rôle dans sa vie, laissant le public –et parfois l’entourage- dans le soupçon concernant leur relation, brouillant encore les regards avec cette couche supplémentaire de peinture de camouflage.

Ensuite, le spectateur sent bien que dans ce film d’auteur, il se trame quelque chose entre la vie et le cinéma. C’est précisément ce qui en fait la force. Mais il devine aussi que le calque de la fiction ne se juxtapose pas exactement sur le plan de la réalité. Et ce décalage –qui rappelle un peu la superposition fantomatique de l’image verte et de l’image rouge des vieux films en 3D, provoquera parfois aussi à sa manière du relief et de la profondeur.

Patrick Rebeaud
11 Mai 2012

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