par Charles Dreyfus
Il en irritait plus d'un à se prendre pour Tchouang Tseu celui qui, se promenant sur les bords de la rivière, remarque : " Quelle joie ont les truites de sauter si gaiement sur l'eau ". Houidsi (ou les ouistitis de l'art en bons ennemis) ne manque pas de lui rétorquer : " Vous n'êtes pas un poisson, comment pouvez-vous savoir si un poisson éprouve de la joie ? ce n'est pas possible ". Tchouang Tseu lui répond : " Vous n'êtes pas moi, comment pouvez-vous savoir que je ne connais pas la joie d'un poisson ? ". Cette petite parabole que je retrouve dans mon cahier, dictée par le vivant, résume bien sa façon de penser.
" L'apparence se rapporte à la vie psychique consciente, la réalité à la vie inconsciente ", nous dit Freud. " Ce qui arrive possède une telle avance sur ce que nous pensons, sur nos intentions, que nous ne pouvons jamais le rejoindre et jamais connaître sa véritable apparence ", poursuit Rilke.
Alain Star savait, comme vivant=vivant, soulever des montagnes avec son 'Snowball Project', jumelant la petite gentille boule de neige avec l'avalanche. Avec l'anniversaire de l'art, une vraie hypotypose de ce que devrait être le réseau. Il uvrait de tout son poids (à cette politique-encore utopique).
J'aimais son flottement nomade à souhait et son profond enracinement à Périgueux. A l'instar d'un opéra, lui-même dithyrambe, au milieu des siens, le voici plus que jamais vivant présent, dans la jouissance de l'instant, attentif au souvenir oublié. Mais aussi OUI=NON (et non ni oui ni non). Sa plastique, ses haïkus. Lorsque Confucius visite Lao Tzeu il le croit mort. En transe extatique Lao Tzeu est pris pour du bois mort. Aux quatre coins du monde le vivant a su montrer un peu de mélange d'alchimie symbolique et d'alchimie opératoire. Certains se souviendront encore longtemps de son chamanisme sublime.
Charles Dreyfus, extrait du numéro de la revue québécoise Inter n° 66 , Hiver 1997
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