Publié le 3 janvier 2004.
Discrètement,
Archimède -le magazine scientifique d’Arte- s’était
installé dans un coin du petit écran depuis près
d’une dizaine d’années. Tout aussi discrètement, il
en a été effacé, coup de gomme dans la marge d’un
paysage audiovisuel à l’efficacité revendiquée.
La
passion silencieuse
Parmi les
quelques centaines de milliers de spectateurs hebdomadaires accrocs
d’Archimède, certains sortent maintenant de l’ombre et
clament sur internet leur passion pour cette émission. Tout cela encore
presque sans bruit, puisque le tumulte médiatique n’a jamais
vraiment concerné les auteurs et les téléspectateurs
d’un magazine résolument hors normes. Archimède
était regardé par les gens qui ne regardent pas la télé
d’habitude, et assumait ce décalage sans complexe.
D’ailleurs, souvent, ce n’était pas au hasard d’un
zapping qu’il était vu, mais quasiment sur rendez-vous par des
personnes attentives qui l’enregistraient ou se le faisaient enregistrer.
Elles visionnaient ensuite cette émission à tête
reposée, puis stockaient studieusement les cassettes VHS de cet
état du savoir. J’ignore si les médiacomptages de tous
ordres prennent en considération ce genre de téléspectateurs
super-vigilants dont l’esprit critique, il est vrai, leur fera toujours
refuser le statut de simples consommateurs. En tout cas, pour un
réalisateur, se trouver dans ce bain d’Archimède procurait
un vrai bonheur. Pierre Oscar Lévy et Jonas Rosalès ont mis plusieurs
semaines pour m’en convaincre en 1996. Avec une patience hors du commun,
ils m’ont téléphoné d’innombrables fois pour
que j’aille les trouver, et que je réalise un premier sujet pour
Archimède. Ce fut un dix minutes d’archéologie. Au
lendemain de la diffusion, Pierre Oscar m’a téléphoné:
“Ton sujet a fait la meilleure audience depuis que
l’émission existe.” Je suppose que l’article paru dans
Télérama y était pour beaucoup. Par la suite, on ne
m’a plus jamais parlé des spectateurs en terme de
quantités. Nous étions probablement protégés par
des anges gardiens qui amortissaient la pression médiamétrique
pour le bien-être des réalisateurs.
Le Dogma
de la télé
Pour moi,
Archimède est à la télé ce que Dogma est au
cinéma: l’austérité créatrice. Même si
aucune règle ne m’a jamais été impérativement
édictée, je pourrais quand même nommer ce qui en forgeait
l’esthétique, et indirectement la philosophie (je parle de
l’émission française, très différente de sa
consœur allemande). Voici ces lois qui donnaient son unité au
magazine. Nous devions:
-Filmer
les actions et les objets en très gros plans.
-Filmer
en plans longs.
-De
préférence en plans fixes.
-Toujours
montrer ce qui est dit.
-Jamais
de musique non justifiée par la présence d’un instrument de
musique ou d’un chanteur visible à l’image.
-Lorsque
quelqu’un parle pour la première fois, il doit être à
l’image.
-Quand
une personne met un appareil en marche, on doit voir en très gros plan
son doigt enfonçant le bouton.
-Les
interviewés doivent s’adresser directement à la
caméra.
...etc.
Il en ressortait
une vision rigoureuse de la science. Trop ? En tous cas, cela aura permis de
fixer l’état des connaissances de manière modeste et
systématique au tournant du 21ème siècle. Paradoxalement,
une fois que nous -réalisateurs- avions accepté de nous glisser
dans le style “archimédien”, le reste n’était
que liberté: le contenu, le ton, le choix des personnes
présentées à l’écran, la mise en images de
concepts.
Quand
“Pour la science” rencontre “Fluide glacial”
L’époque
au cours de laquelle j’ai travaillé avec ce magazine est
l’une des plus heureuses de ma vie professionnelle. Thierry Garrel,
Jean-Jacques Henry et Patrick Sobelman avaient créé
l’espace favorable à la rencontre des idées. J’ai par
exemple réalisé les “brèves”. J’en
écrivais certaines, j’en adaptais d’autres
d’après des textes de Philippe Boulanger, Hervé This, Bruno
Léandri, Didier Nordon. Des personnalités tellement
différentes issues de “Pour la science”, “Fluide
glacial”, l’Université de Bordeaux... Archimède nous
a réunis et nous a permis de créer ensemble, laissant libre cours
à l’astuce, l’humour, l’imagination... Nous nous
sommes amusés sérieusement. L’arrêt
d’Archimède n’a pas changé ma vie de réalisateur
occupée avec d’autres tournages. Cependant, la fin du magazine a
quand même provoqué ce petit pincement au cœur dû au
vide laissé sur mon téléviseur tous les mardis soirs. Je
me console en me disant que tout cela n’aura pas été
inutile: l’ensemble de ces émissions constituera peut-être
pour les épistémologues de l’avenir une foisonnante base
d’informations sur les connaissances d’aujourd’hui et le
chemin de leurs découvertes.
Patrick Rebeaud
http://www.patrick-rebeaud.com
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