PATRICK REBEAUD - réalisateur


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11 novembre 2007:
L’ami Antoine Desrosières me dit que le vendredi 16 novembre , sur Arte, sera diffusé le téléfilm qu’il a coécrit avec Pierre Beuchot: “René Bousquet ou le grand arrangement “.

La presse et les blogs saluent la rigueur de ce travail dont voici le résumé:

“Ancien haut fonctionnaire reconverti dans la finance, René Bousquet navigue d’un conseil d’administration à l’autre et mène à Paris l’existence paisible d’un grand bourgeois, seulement assombrie par la maladie de son épouse. Mais en 1978, Louis Darquier de Pellepoix, antisémite qui ne renie rien de son passé de commissaire aux questions juives, mouille René Bousquet en le désignant dans L’express comme celui qui a orchestré la rafle du Vel d’Hiv’. Des révélations qui rappellent que ce septuagénaire portant haut, directeur de la Banque d’Indochine et de Suez, était en 1942 à la tête de la police de Vichy. Rattrapé par son passé, cet homme de réseaux va tenter, avec son frère avocat, d’organiser sa défense, tandis qu’une fille de déportés vient avec insistance le confronter à ses mensonges et à ses choix criminels…”

Pour les internautes les plus jeunes qui ignoreraient encore ce chapitre important de l’histoire de France, replaçons le dans son contexte avec un documentaire de Gilles Nadeau :



Et voici “Nuit et Brouillard” d’Alain Resnais :




Mais revenons au téléfilm “René Bousquet ou le grand arrangement “ que va diffuser Arte :

INTERVIEW DE L’UN DES AUTEURS


Patrick Rebeaud : Quel angle a été choisi pour aborder cette histoire?

Antoine Desrosières : Avec Pierre Beuchot, nous avons choisi l'angle de la fiction, c'est-à-dire celui qui nous offrait la liberté d'ajouter aux faits avérés, la question de la part d'ombre du personnage. En développant les circonstances de sa mise en accusation, nous avons essayé d’interroger sa conscience et choisi de la laisser inébranlable, ce qui était conforme au personnage comme les témoignages de ceux qui l’ont connu l’accréditent… C'est dans cette perspective que nous avons imaginé une visiteuse qui aurait échappé à la déportation grâce à Bousquet lui-même, mais qui y a perdu toute sa famille, ou encore le personnage de J.P. Martin, un ami commun qu'il avait avec François Mitterrand depuis les années de guerre, dans la bouche duquel nous avons pu mettre, entre autre, les questions que Bousquet refusait de se poser.

PR : Quelle image as-tu du personnage de Bousquet après vos recherches ?

AD : C'était un ambitieux qui, comme Jean Moulin, a été avant-guerre l'un des deux plus jeunes préfets de France. Il était proche des radicaux-socialistes, le parti charnière de la IIIème République. Après la défaite de juin 1940, il a suivi la voix des "pacifistes de gauche" ou des "réalistes" qui ont cru que servir l'administration de Vichy permettrait de créer un rempart aux Allemands. Ceux-là même, aussi, qui prétendaient défendre les Juifs français en sacrifiant les Juifs étrangers de France, pratiquant, au mieux, la politique de l'autruche ou, au pire, celle de la défense de leurs intérêts et carrière personnels dans un contexte où la victoire n’était pas promise aux "alliés". Ceux-là même aussi, qui le moment venu, surent parfois soutenir en sous main tel individu ou résistant, s'offrant un matelas de témoignages favorables dans l'hypothèse où le vent viendrait à tourner, mettant ainsi leurs oeufs dans différents paniers. En bref, Bousquet est tout sauf un "monstre" idéologue fanatique. Il est pire, car son type de personnalité est bien plus répandu et donc plus dangereux, aujourd'hui encore. Il est un haut fonctionnaire zélé qui a franchi la ligne jaune par un mélange de cynisme et de réalisme politique, offrant notamment aux Allemands, qui ne lui en demandaient pas tant, le secours de la police française sans laquelle ils n'auraient jamais eu la possibilité matérielle de procéder aux arrestations avec une telle efficacité, ou élargissant les conditions administratives de celles-ci pour ne pas se voir reprocher le départ de trains à moitié vides. Il est chacun de nous lorsque nous nous soumettons à une autorité indigne ou la devançons pour nous faire valoir.

PR : La grande difficulté de ce genre de travail repose sur le fait qu’à un moment ou à un autre, le scénariste (comme l’acteur) doit s’identifier au personnage afin d’en comprendre le fonctionnement. Comment ça s'est passé? Qu’avez-vous trouvé de défendable chez ce personnage indéfendable?

AD : Ce n'est pas difficile, nous sommes tous Bousquet un jour ou l'autre, dès lors qu'on ferme les yeux sur la réalité humaine d'une situation pour l'approcher sous un mode statistique ou comptable, dès lors que l'on privilégie son intérêt propre à l'intérêt général en enrobant nos actes d'un discours qui se veut porteur de l'intérêt général. Notre parti pris était justement de mettre en avant l'aspect non monstrueux du personnage, de permettre cette identification, pour interroger cette limite en chacun de nous.

PR : Je crois que vous avez transposé un personnage, celui qui vient interviewer René Bousquet chez lui le 30 mai 1987 ?

AD : Le fait est que nous nous sommes servis des travaux d'un historien de la Champagne, M. Jean-Pierre Husson, l'un des seuls auxquels Bousquet ait accepté de parler, pour fournir à notre "visiteuse" une stratégie d'approche. Nous nous sommes aussi servis de ses observations sur le Bousquet des années 80 pour construire notre propre Bousquet, ses attitudes et réactions. M. Husson a très aimablement et longuement répondu à nos questions, par téléphone et par mail. Cet échange est d'ailleurs publié en bonus avec le DVD que Arte édite du téléfilm, et consultable sur le site internet de M. Husson.

PR : Votre intention était-elle de créer une tension plus forte entre les deux personnes?

AD : En cachant derrière l'historien bien réel, une "revenante" imaginaire, notre intention était de mettre Bousquet face à l'une de ses victimes, au statut d'ailleurs paradoxal puisqu'il l’a lui-même sauvée. (il est avéré que lors des rafles de Marseille, Bousquet qui se trouvait sur place a désigné parmi la foule une femme et ses enfants pour les sortir du rang - selon toute vraisemblance, il ne les a "sauvés" que sur leur "bonne mine"). Cette situation nous permettait de pousser plus loin Bousquet dans ses retranchements quant à sa conscience, mais aussi d'interroger l'histoire de la conscience juive qui s'est réveillée à partir des années 1970 et dont le film dessine aussi en creux l’évolution.

PR : Qu’avez-vous conservé du contenu du véritable entretien de 1987, et de l’attitude de Bousquet ce jour-là et par la suite ?

AD : Nous avons conservé l'idée que Bousquet accepte de parler de la période où il était préfet de la Marne, qui précédait celle où il devint secrétaire général de la police (c'est-à-dire quasiment le ministre de la Police). Il en parlait d'autant plus volontiers que son "bilan" était plutôt bon, certaines de ses réformes restant aujourd'hui encore en application. Nous avons aussi gardé son comportement sur la défensive dès qu'une question semble aborder le sort des Juifs. Nous avons aussi retenu quelques autres détails, comme l'amour pour son chien.

PR : Tes précédents scénarios n’étaient pas des films historiques. Quelle a été pour toi la nouveauté en travaillant sur ce téléfilm?

AD : La grande rencontre pour moi est celle que j'ai faite avec Pierre Beuchot, un auteur qui avait beaucoup travaillé déjà sur la Seconde guerre mondiale et sur les collaborateurs au travers de ses fictions et documentaires. J'ai beaucoup appris à son contact et j'ai aimé échanger avec cet homme de la génération de mes parents. J'ai fait tout mon possible pour me hisser à son niveau d'exigence, notamment en ce qui concerne l'exactitude sur tout ce qui est avéré historiquement mais aussi quant à la rigueur sur le style du langage que l'on prête à ces hommes qui ont entre 60 et 80 ans dans la période que l'on traite. Nous nous sommes retrouvés dans ce désir d'aborder les personnages sous leur angle humain. Nous avons la même passion pour l'étude des conséquences politiques et historiques des choix individuels intimes. D'ailleurs, nous travaillons aujourd'hui ensemble sur un nouveau personnage qui a fortement marqué de son empreinte la politique française de l’après-guerre, tout en restant dans l'ombre. La politique contemporaine est une de mes passions depuis que j'ai suivi la campagne de Mitterrand en 1981. J'avais jusqu'alors abordé la réalité sociale plutôt sous le mode de l'humour, en aspirant au mieux à écrire dans la veine de certains cinéastes italiens des années 70. Sans pour autant penser que l'un vaut mieux que l'autre, cette autre manière d’aborder le champ historique m'a fait redécouvrir ses possibilités d’impact et de pertinence.


“René Bousquet ou le grand arrangement “ sur Arte le Vendredi 16 novembre 2007 à 20h40 -Multidiffusion le 23 novembre à 15.50 et le 1er décembre à 16.00 - puis prochainement sur France 2 -

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